Note d’intention du réalisateur

Pourquoi faire ce film?

Tout a commencé par l’invitation de Nicolas Steil, producteur d’Iris Productions, à lire Amok, le premier roman en luxembourgeois de Tullio Forgiarini. Je connaissais les oeuvres de Tullio et je m’étais déjà délecté de quelques personnages bien tranchés dans La Ballade de Lucienne Jourdain ou dans La Enième mort de Ernesto Guevara de la Serna, dit le Che, livres écrits en français.

Amok m’a profondément marqué. Il s’agit certes d’un roman mais avant tout d’un témoignage puisque Tullio est lui même professeur en classe Mosaïque. J’ai été interpelé par l’histoire de ces deux pré-adolescents à l’enfance volée. Les personnages sont présentés au lecteur dans leur plus simple appareil psychologique, des personnages tellement à fleur de peau, que se mélangent dès les premières pages sentiments et images.
Derrière un texte qui semble dur, âpre, apparaît en filigrane une histoire d’amour, ou plutôt une histoire de manque d’amour qui m’a touchée et que j’ai voulu accompagner jusqu’au bout.

Difficile d’aimer ces personnages à la dérive, difficile de pardonner leurs actes mais impossible de ne pas vouloir leur tendre la main, de ne pas vouloir les protéger d’eux mêmes. J’ai vu dans cet univers littéraire brut et violent, un espace pour l’imaginaire, une place pour un monde onirique, un monde de l’enfance et de l’espoir. C’est sous cet angle que j’ai proposé de passer du roman au scénario. Je fis part de mon enthousiasme à Tullio Forgiarini et à Nicolas Steil. Nous nous sommes taisés, observés, sans vouloir trop nous découvrir, car c’est une histoire qui met à nu, qui oblige à parler de sentiments, d’amour reçu ou pas, de violence, d’expériences personnelles, d’espoir.

Et puis, nous nous sommes mis au travail. A six mains, nous avons adapté le livre et écrit le scénario.

Il a fallu passer par les questions touchant au passage du texte au scénario, à l’adaptation cinématographique, à une écriture visuelle, à l’image du Luxembourg, à l’autonomie de réalisation, bref ... toutes ces questions qui doivent être exposées en amont d’un projet d’une telle envergure.

Ce roman a sans doute eu chez moi une résonance particulière puisque j’ai un fils de 12 ans que je ne vois que le week-end. Je me suis souvent interrogé sur les conséquences de mon absence au quotidien auprès de lui. Comment créer un lien profond, comment construire une relation vraie et stable ? Comment transmettre à mon fils l’équilibre affectif nécessaire à sa construction personnelle? Autant de questions que je me posais et qui trouvaient un écho dans le livre de Tullio.
La réponse passe par l’amour, admis, confessé, partagé, mais sans qu’il ne soit oppressif ou égocentrique. Il faut en permanence essayer de garder un équilibre entre le respect de l’intégrité de chacun, enfant ou adulte et l’envie de mettre en place une éducation idéale. Tullio nous donne un témoignage fort. Il nous offre une histoire qui traite de la quasi impossibilité à aider cette génération perdue pour une simple raison: quand à la base il manque l’amour, tout est plus difficile. Quand il manque les fondamentaux à la construction d’une personne, aucune institution, aucune structure scolaire ne peut offrir une solution cohérente et ce malgré les meilleurs intentions et la meilleure des volontés.

Cela est d’autant plus vrai que l’enfant a grandi et qu’il a manqué d’amour et de repères affectifs. Plus le temps passe, plus toute tentative pour combler le manque d’amour semble absorbée comme par un trou noir et disparait dans le néant. Le travail de reconstruction devient dés lors très complexe et long.
J’ai vécu la fabrication de ce film comme une continuité de ma vie au quotidien, de mon regard sur les actes que nous adultes pouvons ou devons poser dans le passage du flambeau aux générations suivantes. Un regard, pas un jugement. Aucun des personnages adultes dans le film n’est fondamentalement mauvais. Chacun d’entre eux fait ce qu’il peut avec les outils intellectuels et émotifs dont il dispose. Je n’ai en aucun cas voulu porter un jugement moral sur l’histoire de ces enfants ni de leur famille. J’ai voulu aborder une autre réalité du monde occidental contemporain dans lequel nous vivons. Cette histoire se passe au Luxembourg, en plein cœur d’une Europe développée qui se targue d’offrir le meilleur aux nouvelles générations mais qui malgré les apparences est souvent carencée en nourriture affective et culturelle.

Accepter les règles du jeu

Amok, se passe au Luxembourg. Après des mois de collaboration avec Nicolas et Tullio notre travail a abouti à un scénario qui, selon nous, porte à bras tendus les espoirs de cette jeune adolescence en manque d’amour. Logiquement, l’aboutissement de notre travail commun est un film en langue luxembourgeoise pratiquement entièrement tourné au Luxembourg (exeptés 4 jours en France). Le cinéma luxembourgeois est jeune, il se cherche. Porter à l’écran des histoires adaptées de la littérature contemporaine luxembourgeoise témoigne de la recherche identitaire de ce paysage audiovisuel en pleine expansion. Par ce film, j’ai voulu apporter une pierre à l’édifice cinématographique national en proposant une narration contemporaine, dans la langue originelle de notre pays. Une histoire d’aujourd’hui, ici à Luxembourg. Une histoire universelle qui part d’ici pour être racontée ailleurs. J’en suis heureux et fier mais il a fallu composer avec les contraintes qui découlent de cette spécificité.

La première de ces contraintes a été de trouver au Luxembourg des pré-adolescents non professionnels capables de s’engager à servir une histoire aussi dure. J’ai aimé ce challenge qui, malgré sa difficulté, m’a tout de suite semblé possible à relever. Nous avons travaillé dur avec Véronique Fauconnet, notre directrice de casting avant de faire notre choix. Une fois ce choix effectué, il a fallu tourner rapidement car, à cet âge, les enfants changent incroyablement vite. Le laps de temps entre le casting et le tournage devait être très court. Il a fallu tenir compte de cette urgence dans le planning de production.

Une autre contrainte a justement été de diriger des pré-adolescents non professionnels devant la caméra. Mes propres enfants font eux même partie des divers projets que j’ai réalisé ces dernières années. J’ai souvent eu l’occasion et la joie de capturer les émotions offertes par des enfants dans des situations de mise en scène. La difficulté, pendant tout ce temps passé ensemble, consiste à ne pas faire d’amalgames. Il s’agissait pour nous de travailler sur un projet. Il ne fallait pas que je me substitue aux vrais parents ou que je sois perçu par eux comme leur « grand frère ». Les limites doivent être claires pour tous, car il s’agit de partager une aventure qui est limitée dans le temps, telle une parenthèse qui s’ouvre le temps d’un tournage et qui, une fois refermée, vous rejette dans la vie réelle qui peut soudainement vous sembler bien morne.

Joshua Defays (X), Charlotte Elsen (Shirley) et Etienne Halsdorf (Johnny) ne sont pas des comédiens professionnels. Ce sont des enfants qui, à l’époque du tournage de Baby(a)lone, n’avaient aucune ou peu d’expérience théâtrale et cinématographique. Ils ont dû beaucoup travailler pour obtenir le rendu que l’on a aujourd’hui à l’écran. J’ai toujours eu confiance en leur capacité à se mouvoir dans un monde de création très éloigné de leur quotidien. J’ai partagé avec eux les moments de construction des personnages, sans cesse en évolution. Ils ont tous trois découvert une discipline artistique, et dû apprendre à gérer psychologiquement les séquences délicates d’un film qui traduit un malaise et une violence parfois difficiles à interpréter. Les dialogues et les expressions ont été adaptés à leur personnalité. Au fur et à mesure du tournage, leurs propres maladresses de pré-adolescents ont pris place dans la narration. Leur façon de marcher peu affirmée, leur élocution enfantine, la peur de se tenir la main ont données au film toute la crédibilité qu’il a aujourd’hui.

Ma seule peur pendant toute la durée du tournage était de voir ses trois enfants se transformer en comédiens, de les voir perdre leur naïveté et leur fraîcheur.